La vie quotidienne en Belgique – Avril-Mai-Juin 1942

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En ce début de printemps 1942, les Belges ne doivent pas s’attendre à une amélioration de leurs rations alimentaires. Une mission envoyée à Berlin pour y plaider notre cause est revenue les mains vides et notre ravitaillement reste inférieur à celui de la France, de la Hollande ou de l’Allemagne. Maigre consolation : la délégation belge a constaté que la population allemande souffrait de cette pénurie alimentaire et que son moral commençait à décliner.

Cela n’empêche pas Hitler de poursuivre ses ambitions en Russie. Malgré les revers endurés durant l’hiver 41-42 (par des températures allant jusqu’à près de – 50°C), le soldat allemand fait preuve d’une « endurance surhumaine » proclame-t-il dans un discours enflammé au Reichstag le 27 avril.  « Ni les hommes, ni les chars, ni les locomotives n’étaient prêts à subir ces froids excessifs. (…) J’ai dû agir dans certains cas durement et sans égards pour dominer par la décision la plus stoïque une situation dans laquelle, sans cela, nous aurions succombé ».  Reconnaissant la puissance du « colosse russe », il promet des mesures pour que l’armée allemande soit mieux armée l’hiver prochain. Entretemps, il demande au Reichstag les « pleins pouvoirs » qui lui permettront d’agir « là où l’on n’obéit pas ». Il veut pouvoir, en toute « légalité » contraindre chacun à exécuter son devoir.

Chez nous aussi, les mesures se durcissent à l’égard, entre autres, des ouvriers mineurs désormais obligés de travailler le dimanche et les jours fériés légaux. En réponse aux réclamations de l’épiscopat belge, le général von Falkenhausen évoque la défense de la civilisation chrétienne contre le bolchévisme pour justifier la « dispense » d’assister à la messe le dimanche.

Résistance et arrestations

A Liège et à Gand notamment, les actes de sabotage se multiplient. Les centrales électriques sont particulièrement visées.

Camille Joset
Camille Joset

A Liège et à Gand notamment, les actes de sabotage se multiplient. Les centrales électriques sont particulièrement visées.

Le 10 avril, Camille Joset, chef du Mouvement National Belge, constitue le Front patriotique, qui rassemble des organisations de la  résistance non communiste (Légion belge-région de Bruxelles, Parti Belge, Pro Patria, Rassemblement Moral autour du Roi, Entente Nationale Belge, Légion noire…). Mais après quelques réunions seulement et plusieurs arrestations, le Front patriotique disparaît. Camille Joset est arrêté le 24 avril.

Le dimanche 19 avril, un attentat contre le VNV réuni au Cygne, à Bruxelles, fait de nombreux blessés et dégâts.

Le 8 mai, le colonel Lentz  (qui avait mis sur pied l’Armée belge reconstituée, laquelle fusionna en été 1941 avec la Légion belge fondée par Charles Claser) est lui aussi arrêté par la police allemande. 

Depuis des mois, on le sait, la distribution de journaux et tracts clandestins va bon train. Et la Gestapo a fort à faire pour tenter d’appréhender ces éditeurs téméraires qui n’hésitent pas à braver l’autorité au prix de leur liberté, voire de leur vie. Une vague d’arrestations déferle en mai et juin parmi les imprimeurs, les rédacteurs et les distributeurs bénévoles. Une rafle touche 60 personnes impliquées dans La Libre Belgique.

La police secrète allemande s’en prend aussi aux officiers de carrière et de réserve, aux médecins et pharmaciens militaires, ainsi qu’aux aumôniers. Début juin, elle arrête pas moins de 163 officiers aviateurs qui seront sans doute expédiés en Allemagne. Mais beaucoup de noms figurant sur la liste ont déjà pris le large.

Autre cible : les patrons de la grande industrie belge, qui refusent toujours de remettre à l’occupant la liste de leurs ouvriers. L’Allemagne a besoin de main-d’œuvre, mais le patronat belge veut garder dans le pays un minimum de personnel expérimenté. Exaspérée, l’autorité allemande fait arrêter plusieurs grands patrons, notamment dans l’industrie gantoise.

Censure musicale

Le dimanche 31 mai, La Chapelle musicale Reine Elisabeth organise une rétrospective de l’art symphonique, dans le cadre du concert Houdret. Deux concerts de musique russe figurent au programme. Sur ordre de l’occupant, ils doivent être remplacés par des œuvres de compositeurs allemands. La majeure partie du public s’abstient d’applaudir à la fin de la prestation.

Livine MERTENS, mezzo-soprano belge, 1942
Livine MERTENS, mezzo-soprano belge, 1942

Quant à la chanteuse Livine Mertens, elle est condamnée à 15 jours de prison pour avoir chanté un couplet jugé subversif dans Carmen. Depuis, cet opéra ne figure plus au répertoire.

Etoile de David

Etoile jaune - Belgique 1942
Etoile jaune – Belgique 1942

Le 27 mai, une ordonnance allemande impose à tout Juif de plus de 6 ans de porter l’étoile jaune. Confectionnée dans un tissu jaune avec un « J » (Juif/Jood) imprimé en son centre, cette étoile de David, de la taille de la paume d’une main, doit être apposée sur le côté gauche de la poitrine et vise à stigmatiser la communauté juive.

Cette ordonnance constitue l’ultime étape avant la déportation puisque les Juifs ont été identifiés et recensés. Leurs pièces d’identité et leur apparence sont désormais ‘marquées’. Les Juifs se voient à présent exclus de la vie  économique et sociale.

Réunis en Conférence, les bourgmestres refusent cependant à l’unanimité de coopérer à l’exécution de l’ordonnance. Craignant un départ massif des administrateurs communaux (ce qui créerait une  fameuse pagaille), l’autorité allemande décide que l’étoile jaune sera remise aux Juifs à l’Oberfeldkommandantur, place du Trône.

Parmi les autres mesures imposées aux Juifs, citons l’interdiction de circuler entre 20 heures et 7 heures, l’obligation de résider à Bruxelles, Liège, Anvers ou Charleroi, et l’interdiction d’exercer des professions telles que médecin, dentiste, chirurgien, vétérinaire, sage-femme, assistant médical, pharmacien ou droguiste.

Ailleurs dans le monde, la guerre fait rage

Depuis le début de l’année, la RAF intensifie ses bombardements sur l’Allemagne. Usines, dépôts ferroviaires, docks, ponts et digues constituent ses principales cibles. Les centres des villes (Lübeck, Essen, Cologne, etc.) sont visés dans le cadre de raids  essentiellement nocturnes, de même que les complexes industriels au service de la machine de guerre nazie, comme les usines de munitions Krupp.

La RAF s’attaque aussi au fameux cuirassé allemand Tirpitz, cantonné dans son fjord norvégien. Au printemps 1942, elle tente de le couler, mais en vain, à plusieurs reprises.

Reinhard Heydrich (Bundesarchiv)
Reinhard Heydrich (Bundesarchiv)

En Tchéquie, Reinhard Heydrich, SS-Obergruppenführer et vice-gouverneur de Bohème-Moravie est assassiné. En guise de représailles, le village de Lidice est entièrement détruit et des exécutions capitales sont prononcées en Norvège, en Yougoslavie, en Pologne et en Hollande notamment.

La Mercedes de Reinhard Heydrich après l'attentat 1942 (Bundesarchiv)
La Mercedes de Reinhard Heydrich après l’attentat 1942 (Bundesarchiv)

En Afrique du Nord, Rommel et l’Afrika Korps s’emparent de Tobrouk en mai et repoussent les forces britanniques jusqu’à El Alamein. Mais en juin, ils sont stoppés à Bir-Hakeim par les Français Libres du général Marie Pierre Koenig.

Aux Philippines, l’île de Bataan, sous protectorat américain, capitule début avril et Corregidor se rend aux forces japonaises en mai.

Avec l’aide de l’armée thaïlandaise, les forces nipponnes consolident leurs positions en Birmanie.

Dans le Pacifique, début juin, les Alliés remportent une victoire majeure à Midway, portant un coup fatal aux forces aéronavales japonaises.


Par Martine Jones – Publié dans le bulletin trimestriel Militaria Belgica Info N° 104 (Q2-2022) de la SRAMA – Société royale des Amis du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire – www.sramakvvl.be

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