L’industrie belge vue par les Allemands
Début juillet 1942, le secrétaire d’Etat au Ministère de l’Economie du Reich, le Dr. Landfried, se rend à Bruxelles pour discuter des rapports économiques germano-belges dans le présent et dans l’avenir de l’Europe. Entendez par là la réorganisation, par les Allemands, de l’industrie belge, pour offrir des opportunités de travail rémunérateur dans les domaines où régnait le chômage avant la guerre et pour que les producteurs belges augmentent la cadence. Quoi de plus logique, ajoute le Dr. Landfried, quand on sait que c’est l’industrie allemande qui est venue au secours de la Belgique dans le chaos où ses alliés l’avaient entraînée et que c’est elle aussi qui a donné du travail à ses ouvriers. Un travail à connotation obligatoire, orchestré avec fermeté par la Werbestelle Arbeitskräfte nach Deutschland. Oui, c’est une façon de voir les choses, que ne partage pas la population belge. N’est-ce pas plutôt l’Allemagne qui tente d’étouffer des pans entiers de notre économie pour pousser notre main-d’œuvre à aller travailler chez elle ?
Excursion à Malines
Face aux difficultés de ravitaillement dans les villes notamment, de nombreux Belges n’hésitent pas à s’offrir une excursion dans la région maraîchère de Malines, où les cultures se multiplient. C’est ainsi que des trams à destination de cette ville sont régulièrement bondés de gens munis de valises et de sacs. Mais l’expédition n’est pas sans risque car l’endroit pullule de contrôleurs allemands, flanqués d’un ou deux gendarmes. Lorsqu’on les aperçoit, c’est la ruée vers les habitations des villageois, qui ont pris l’habitude d’accueillir ces audacieux, le temps que la menace s’estompe. Cependant, les Belges ne sont pas les seuls à fréquenter les champs malinois. A l’aube, ce sont des dizaines de camions allemands que l’on peut voir alignés sur les routes, tandis que les soldats se hâtent d’arracher et d’emporter un maximum de pommes de terre.
En ce milieu d’année 1942, il n’y a pas que la production alimentaire qui pose problème. Celle d’engrais azotés et phosphatés représente aussi un défi considérable. Pour la période 1942-1943, la Belgique a prévu de transformer quelque 10% des prairies en cultures vivrières, soit environ 75.000 hectares. Ce qui implique de pouvoir utiliser tous les engrais pouvant être produits dans le pays. Une production qui est loin d’être à la hauteur des besoins.
Dans les hôpitaux
Au début de l’invasion allemande, les militaires belges, anglais et hollandais et les malades ordinaires soignés à l’hôpital Brugmann avaient dû être évacués, souvent sans ménagement, pour céder la place aux blessés allemands. La plupart des médecins belges furent remerciés eux aussi, de même qu’une partie du personnel infirmier. Seule une centaine d’infirmières belges, diplômées ou en formation, étaient restées à leur poste. A partir de début 1942, des dizaines de soldats allemands, notamment ceux qui avaient eu les pieds gelés en Russie, sont amenés à Brugmann et entassés dans les chambres et dans les couloirs sur des paillasses. La plupart d’entre eux réclament les soins de nos infirmières, plus compétentes et surtout plus humaines que les soignantes allemandes. Une situation qui va engendrer de sérieux conflits entre soldats et médecins et qui se solde, en août, par l’expulsion des infirmières belges. Celles-ci sont ensuite réparties entre l’hôpital Saint-Pierre et des orphelinats.
Flou et controverse à propos de l’Ordre des Médecins
Avant la guerre, la Belgique avait envisagé la création d’un Ordre des Médecins, sur le modèle de l’Ordre des Avocats. Objectif : barrer l’accès à la profession à des médecins douteux ou se livrant à des pratiques clandestines réprimées par la loi. En 1942, les Allemands reprennent l’idée mais dans le but de mettre le corps médical à même de remplir d’une manière plus sociale des tâches d’intérêt général qui, en ces heures difficiles, lui incombent en nombre et en gravité toujours accrus. Invités à remplir un bulletin d’adhésion à ce nouvel Ordre, de nombreux médecins hésitent. Que cache cette phrase sibylline ? On ne tarde pas à le découvrir, lorsque le 10 juillet paraît un arrêté spécifiant que des mesures peuvent être prises en vue d’assurer le service médical dans toutes les parties du pays, de lutter contre les dangers graves d’épidémies et tous autres malheurs. (…) A cet effet, il pourra être procédé par voie de réquisition ou par assignation temporaire de résidence. Dans la foulée, la Fédération médicale belge est dissoute le 10 août, par une ordonnance allemande sous prétexte que cette association et plus particulièrement les personnalités qui la dirigent ont manifesté leurs sentiments hostiles à la puissance occupante. En septembre, plusieurs médecins récalcitrants ont déjà reçu un avis de réquisition les informant qu’ils seront déplacés par assignation temporaire de résidence (en Belgique ou ailleurs, en Europe centrale ou orientale).
Tout change
Les pénuries ne frappent pas seulement le secteur de l’alimentation, mais aussi celui de l’habillement. Les articles encore proposés deviennent hors de prix. Résultat ? A 700 francs minimum le chapeau, les femmes n’en portent plus et s’en vont cheveux au vent (ce qui en offusque plus d’un). Les bas de soie ayant disparu, elles se baladent jambes nues – parfois enduites de brou de noix – même lorsqu’il pleut. Quant aux chaussures, les semelles de cuir ont cédé la place aux semelles en bois, ce qui rend la marche peu commode… et peu élégante. Mais les intéressées ne s’en soucient guère. On s’habitue à tout !
Dans les restaurants, les prix explosent. Quelques petits établissements accueillent une clientèle limitée mais plus qu’aisée, composée de ce que l’on appelle les nouveaux riches (pour ne pas dire les profiteurs) mais aussi de gens à la fortune établie de longue date (bourgeois, propriétaires, industriels).
Dans les magasins, c’est la disette la plus totale. Sur la vitrine de certains commerçants, on peut lire cet avis : Il n’y a plus rien à l’intérieur. Tout ce que nous avons est à l’extérieur.
Impossible de trouver une bouilloire, un torchon de cuisine, une plume à écrire. Plus de cordes de store, ni de ficelles de chanvre. Pour se procurer un tube de dentifrice, il faut rendre un tube usagé !
L’écart se creuse sans cesse davantage entre ceux qui ont les moyens (et qui s’approvisionnent au marché noir) et ceux qui, de plus en plus, doivent tirer le diable par la queue. Sans parler de ceux que l’on dépouille de tout.
Déportation des Juifs et chants allemands

Fin juillet, on apprend que sur ordre du Reich, tous les Juifs et Juives de 16,5 ans à 30 ans vont être expédiés en Allemagne pour y travailler. A partir du 4 août, ce ne sont pas moins de 10.000 Juifs qui vont transiter par la caserne Dossin, à Malines, d’où ils sont acheminés, dans des wagons à bestiaux, d’abord vers des départements du nord-ouest de la France ou en Pologne. Certains sont déportés directement vers le Schleswig-Holstein. Les rassemblements – et séparations – à Dossin se font dans une douleur indescriptible, face à laquelle les gardiens allemands affichent une totale insensibilité.
Les rafles s’intensifient en août et en septembre, mois au cours duquel est créé le Comité de défense des Juifs, qui va s’efforcer d’en sauver un maximum de la déportation.
Et pendant ce temps, on voit régulièrement des soldats allemands se rendre à l’exercice, au Tir National par exemple, en chantant. Leurs refrains scandent le pas. Avec plus ou moins d’entrain. Depuis peu, on constate semble-t-il un certain affaiblissement de leur voix. Il y a même des soldats qui s’abstiennent de chanter lorsqu’ils s’en retournent à la Place Dailly.
Ailleurs en Europe
Echec du raid sur Dieppe

Menée à l’aube du 19 août par quelque 5000 Canadiens et 1000 Britanniques, l’opération Jubilee avait pour but de tester les défenses côtières allemandes et d’endommager un maximum de leurs infrastructures aux alentours du port de Dieppe. Mais à 9h30, face à la violence de la riposte allemande, ordre est donné d’évacuer. Côté allié, le raid sur Dieppe se solde par la perte de 3200 hommes (dont 1200 tués et 2000 prisonniers) et la destruction d’une centaine d’avions, de trente chars et d’un destroyer. Cet échec est abondamment commenté et illustré dans la presse allemande, qui le qualifie de tentative désespérée d’un stratège amateur (Ndlr. Winston Churchill).
Front de l’Est

En Russie, les objectifs premiers du Reich ne sont pas atteints. Malgré une déstabilisation du front entre le Don et le Donets, l’armée allemande n’est pas parvenue à vaincre les forces soviétiques. Un nouveau front dit « de Stalingrad » s’ouvre en juillet 1942. Il oppose les armées soviétiques placées sous le commandement du maréchal Timochenko à la 6è armée du Reich commandée par le – futur – maréchal Paulus. Ainsi débute la bataille de Stalingrad, ville symbole de l’URSS mais surtout enjeu stratégique en tant que centre de fabrication d’armements et de chars, et clé du contrôle des gisements pétroliers du Caucase.
Et dans le Pacifique

Après le raid retentissant des B25 sur Tokyo en avril, et deux mois après leur victoire à Midway, les Américains vont débarquer le 7 août à Guadalcanal, dont les Japonais s’étaient emparés le mois précédent pour y installer une base aérienne. La bataille sera longue et difficile (elle ne s’achèvera que le 9 février 1943), mais la victoire des forces américaines marquera le début de la reconquête du Pacifique.
Par Martine Jones – Publié dans le bulletin trimestriel Militaria Belgica Info N° 105 (Q3-2022) de la SRAMA – Société royale des Amis du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire – www.sramakvvl.be