Arrestations et répression
En ce début octobre, la Gestapo multiplie les arrestations, notamment parmi les membres de la Légion nationale, les états-majors reconstitués de régiments, les collaborateurs et distributeurs de la presse clandestine. Tous ceux qui détiennent des armes ou se livrent à des actes d’espionnage ou de sabotage, de même que les jeunes tentés de gagner l’Angleterre, risquent la peine de mort.

Lorsqu’ils sont pris, ceux qui cachent des soldats anglais ou les aident à s’exfiltrer subissent le même sort. Les incarcérations sont nombreuses et les prisons saturées. Plusieurs membres de l’agence Belga croupissent à la prison de Saint Gilles depuis des semaines. La saisie d’otages est monnaie courante et vise toutes les catégories de la population : agents de l’Etat ou simples citoyens. Même le procureur du roi et un haut fonctionnaire de la Sûreté de l’Etat ont été arrêtés en représailles d’un attentat visant un local rexiste. Cette répression accrue a peut-être une explication : comme les Allemands ont fort à faire sur le front russe, ils veulent minimiser les risques de troubles et d’insécurité dans les pays occupés. Conséquence : ils pourchassent, ils arrêtent, ils emprisonnent, ils éliminent.
Secours d’Hiver et Croix-Rouge
En coopération avec la Croix-Rouge internationale, le Secours d’Hiver organise toute une série d’approvisionnements : produits pharmaceutiques (qui font cruellement défaut en Belgique), huile, céréales et pois via la Turquie, obtention de crédits par l’intermédiaire des banques, du gouvernement à Londres et de sociétés privées.

Il y a également la collecte de linge et de vivres pour nos prisonniers en Allemagne. Grâce à la Croix-Rouge et à d’autres organisations comme le Colis du Prisonnier (Belgique), dirigé par le colonel Bastin, l’Aide aux prisonniers et internés belges (M. et Mme Biart à Lausanne) ou encore Parcels for Belgian Prisonners (sic) (à Washington), quelque 700.000 colis de vivres et de vêtements ont déjà pu être expédiés aux plus de 100.000 soldats belges captifs en Allemagne.
Non aux réquisitions
De métaux non ferreux…
A la suite de la pénurie de certains métaux non ferreux, les secrétaires généraux lancent une réquisition sur le cuivre, l’étain, le plomb et le nickel contenus dans des objets en usage ou appartenant au domaine public. Ils assurent que ces matières ne seront pas récupérées par les Allemands et serviront uniquement à alimenter l’industrie belge, pour éviter l’arrêt des usines et la mise au chômage de la main-d’œuvre. Mais très vite, l’occupant reprend la mesure à son compte et tente de l’appliquer aux particuliers. Ayant fixé un ultimatum au 30 novembre et n’ayant pas obtenu ce qu’il voulait, il entame alors un chantage à la faim. Un bras de fer s’engage entre les secrétaires généraux et l’administration allemande.
… et de main-d’œuvre
L’occupant a urgemment besoin de 2500 ajusteurs et 1500 chauffeurs pour les chemins de fer, qui pourront être transférés en Allemagne « sans nuire à l’exploitation du réseau belge » assure-t-il. Mais le collège des secrétaires généraux s’y oppose.
Même chose pour les quelque 800 charpentiers, ferrailleurs, mécaniciens, serruriers, bétonneurs et terrassiers que réclame le Reich : les chefs d’entreprise belges refusent catégoriquement de les fournir, même sous la pression du chantage à l’arrêt des travaux en Belgique, faute de matières premières.
Tout cela s’inscrit dans le plan allemand d’incorporation de la Belgique dans l’économie allemande, dans un climat de tension croissante et de chantage, notamment sur le plan alimentaire.
Fermeture de l’ULB
Le 25 novembre à 10h00, M. Van der Dungen, le recteur de l’ULB, annonce la fermeture de l’établissement, à la suite de l’ingérence de plus en plus marquée de l’autorité allemande dans la gestion de l’Université.
La goutte qui a fait déborder le vase, c’est la désignation forcée du Professeur Anton Jacob à la chaire de littérature comparée. Ancien activiste condamné à mort après la Première guerre mondiale, M. Jacob était déjà titulaire d’une chaire à l’Université de Hambourg. Pour le Conseil académique de l’ULB, le passé d’A. Jacob est incompatible avec un mandat de Professeur à l’Université. Après le rejet de toutes ses propositions de candidats par l’occupant, le Conseil s’est trouvé face à un cas de conscience qui l’a amené à prendre une lourde décision : arrêt des cours, renvoi des étudiants et communication aux professeurs de ne plus donner cours. Dont acte dans un procès-verbal dressé à l’issue du Conseil et communiqué au général von Craushaar, représentant l’administration militaire. Les Allemands ne sont évidemment pas contents et ordonnent la reprise des cours.
Les professeurs ont été invités à se prononcer individuellement sur cet ordre allemand mais 95% d’entre eux refusent de reprendre les cours. Début décembre, l’autorité militaire allemande fait arrêter 10 membres du Conseil d’administration de l’Université et inflige de lourdes amendes et sanctions aux autres. Les Professeurs qui ont refusé la reprise des cours se voient privés de leur traitement.
Qu’adviendra-t-il des étudiants de l’Université de Bruxelles ? Pourront-ils poursuivre leurs études à Gand, Liège ou Louvain ?
L’Orchestre Rouge
L’Orchestre rouge travaille pour le compte de Moscou. Ses agents sont chargés de collecter des informations sur les activités économiques, politiques et militaires de l’Allemagne nazie. Depuis l’invasion de l’Union soviétique par les Allemands en juin 1941, ils n’ont pas la vie facile. En octobre 1941, ils installent leur atelier de codage et de faux papiers au 101 de la rue des Atrébates à Bruxelles, d’où ils transmettent les nombreux renseignements qui leur parviennent depuis l’ensemble des pays (Pays-Bas, Scandinavie, France) couverts par une structure commerciale (les sociétés Simexco et Simex). Avec d’autres membres du réseau, Sofia Poznanska s’applique au chiffrage des messages, qu’elle a appris à Moscou quelques années auparavant. Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1941, la Geheime Feldpolizei (GFP) repère par radiogoniométrie l’atelier de la rue des Atrébates et arrête les membres présents de l’Orchestre Rouge, dont Sofia Poznanska. Celle-ci subit de nombreux interrogatoires à Breendonck, mais ne livre aucun code de déchiffrement des messages échangés avec Moscou. Redoutant de prochaines tortures, elle se pendra dans sa cellule de la prison de Saint-Gilles, le 28 septembre 1942. Léopold Trepper, fondateur du réseau en 1938, sera rattrapé et arrêté par la Gestapo en décembre 1942.
Le 7 décembre
Jour très particulier que ce 7 décembre 1941 où l’on apprend simultanément le remariage du Roi, la publication du décret Nacht und Nebel et l’attaque japonaise contre la base américaine de Pearl Harbour.
Décret Nacht und Nebel (NN)
Selon ce décret, les résistants arrêtés pour faits graves qui ne peuvent être condamnés par le conseil de guerre allemand en territoire occupé dans la semaine qui suit leur arrestation, sont transférés secrètement en Allemagne pour y être jugés. Comme le sort de ces « déportés » n’est communiqué à personne, ils disparaissent tout simplement « dans la nuit et le brouillard ». Cette mesure draconienne a pour but d’effrayer l’opinion publique et de contrer la résistance.
Mariage du roi
Le 6 décembre, le cardinal Van Roey, archevêque de Malines, fait lire une lettre dans toutes les églises de Belgique : le Roi a épousé religieusement mais secrètement Lilian Baels le 11 septembre précédent. Le mariage civil a eu lieu le 6 décembre, dans une salle du Palais de Laeken, en présence du bourgmestre faisant fonction de Bruxelles (M. Coelst) et de deux témoins, le grand maréchal de la Cour le comte Cornet de Ways-Ruart, et le procureur du Roi M. Van Beirs. La procédure contrevient à la législation belge, qui précise que seul le mariage civil a force de loi, et que le mariage religieux doit donc le suivre et non le précéder.
En outre, le fait que le Roi se marie tout en se présentant comme prisonnier de guerre est ressenti avec amertume par une grande partie de la population.
Attaque japonaise sur Pearl Harbour
Après des semaines de négociations entre Washington et Tokyo, l’attaque surprise du Japon contre la base américaine de Pearl Harbour entraîne l’entrée en guerre des Etats-Unis et la mondialisation du conflit.

Et pendant ce temps, au Congo
Dès le 18 juin 1940, Albert de Vleeschouwer, ministre des Colonies, reçut un mandat étendu lui permettant de mettre les ressources du Congo belge à la disposition des alliés. Après la capitulation de la Belgique et alors que le gouvernement belge tentait encore de rallier Londres, il engagea résolument le Congo aux côtés des Britanniques. De son côté, Pierre Ryckmans, gouverneur général du Congo, faisait de même, malgré les tensions au sein de l’Etat Major de la Force Publique et des grandes sociétés présentes dans la colonie.
Il fallut un certain temps avant que la population belge au Congo se rendît compte de la gravité des événements. Ce ne fut pleinement le cas que lorsque la colonie fut réellement intégrée dans l’effort de guerre, et cela sous diverses formes dont la fourniture de matières premières essentielles – étain, cobalt, cuivre, zinc, bois, caoutchouc, diamant industriel, uranium. La Force Publique quant à elle participa activement aux combats, notamment lors de la campagne contre l’Italie en Abyssinie, qui se solda par la prise d’Asosa et de Saïo en 1941 et la défaite des Italiens.

Ce changement de paradigme ne se fit pas sans bouleversements au sein de la société coloniale. La main-d’œuvre indigène fut réquisitionnée en masse et obligée de travailler plus longtemps, souvent loin du soutien des familles et des villages. Le niveau de vie baissa et des mouvements sociaux pointèrent, comme la grève qui paralysa plusieurs sites miniers du Katanga en décembre 1941.
Il fallut aussi gérer les maigres effectifs qui constituaient l’encadrement. Difficile de se passer des Blancs qui occupaient généralement des fonctions essentielles. Mobiliser le directeur d’une centrale électrique par exemple revenait à condamner au chômage les indigènes qui y travaillaient. Idem pour le médecin, qui couvrait généralement de vastes territoires qu’on ne pouvait priver d’aide médicale. Avec la mobilisation de la Force Publique, plusieurs centaines de Blancs avaient été réaffectés et l’économie du Congo en souffrit souffert. Quant aux grandes sociétés belges, elles avaient gardé un maximum d’autonomie et renforcé leur indépendance à l’égard de l’administration de Léopoldville. Beaucoup s’étaient déjà préparées à la guerre, notamment en créant des filiales aux Etats-Unis dès 1939 et en augmentant la production de produits stratégiques entre 1936 et 1939. C’est ainsi que l’Union minière du Haut-Katanga avait conclu, avant l’occupation de la Belgique, le fameux contrat pour la fourniture de radium et d’uranium aux Etats-Unis.
Par Martine Jones – Publié dans le bulletin trimestriel Militaria Belgica Info N° 102 (Q4-2021) de la SRAMA – Société royale des Amis du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire – www.sramakvvl.be