La vie quotidienne en Belgique – Octobre-Novembre-Décembre 1942

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Travail forcé en Allemagne

Le 6 octobre 1942 une nouvelle ordonnance allemande institue le travail forcé de la main-d’œuvre belge en Allemagne et initie ainsi la ‘déportation’ des travailleurs belges – de 18 à 50 ans pour les hommes et de 21 à 35 ans pour les femmes. Une mesure qualifiée de ‘dure mais nécessaire’ par la presse collaboratrice et qui provoque un vif émoi pour ne pas dire plus dans la population. En quelques jours, les Allemands opèrent des rafles dans des endroits aussi variés que les cinémas, les pâtisseries, les champs de courses et même parmi les pêcheurs à la ligne. Les jeunes filles tentent l’impossible pour échapper à cette déportation en présentant un emploi fictif de dactylo ou secrétaire.

Mais les Allemands redoublent d’ingéniosité. Ils empêchent carrément certains employeurs (comme les routiers par exemple) de recruter des hommes âgés de 18 à 45 ans, ce qui fait automatiquement basculer ces travailleurs dans la catégorie des chômeurs. Ils obligent certains industriels éminents (comme Ernest Solvay) à remplir des questionnaires relatifs à leur main-d’œuvre masculine. Ils envoient des messagers pour dresser des listes d’ouvriers à déporter. Les usines Nestor Martin doivent céder 83 travailleurs sur 400 et même le personnel du Secours d’Hiver est touché par la mesure.

L’application de cette ordonnance se heurte à la résistance des secrétaires généraux et de la magistrature, les procureurs interdisant à leurs subordonnés de se plier à ces mesures. Les magistrats espèrent une réaction du Roi et du Cardinal Van Roey et adressent eux-mêmes  une vive protestation à Falkenhausen.  Mais rien n’y fait. Les Offices du Travail sont placés sous le contrôle direct des Kommandanturen.

Structuration de la résistance

Avec le temps, les actes de résistance, accomplis au départ de manière individuelle et spontanée par des hommes et des femmes généralement respectueux des lois, vont peu à peu se structurer selon des axes idéologiques, politiques et/ou militaires. L’apparition de ces forces civiles étonnent les responsables politiques et militaires alliés, qui s’en méfient. En 1942, le mouvement de résistance tend à se radicaliser en Belgique, avec la montée en puissance de la résistance communiste.  A partir de la fin de l’été, le nombre d’attentats contre des Allemands ou leurs sympathisants se multiplie – faisant 28 morts en 1942 contre 3 en 1941.

Des Belges en Angleterre

La reconstitution de forces (belges) en Angleterre s’appuie sur deux sources de recrutement : les volontaires qui résident dans un territoire allié ou neutre et les Belges qui sont parvenus à fuir le pays occupé ou qui se sont évadés de camps de prisonniers.

A leur arrivée Outre-Manche, ils sont affectés à l’une ou l’autre des forces armées alliées.

Vers la fin de l’année 1942, le gouvernement belge en exil décide de créer en Angleterre un groupe de combat composé de forces d’infanterie, d’artillerie, de blindés et du génie.  Ce premier Groupement indépendant belge sera placé sous le commandement du major Piron. Largement motorisée, cette formation doit être homogène et capable d’une action rapide pour harceler et poursuivre l’ennemi.

Son quartier général et les unités d’entraînement, initialement formées à Tenby, sont déplacés à Leamington Spa. Les unités de combat sont expédiées au Pays de Galles, puis en East Anglia où elles poursuivent leur entraînement.

Stalags et oflags

Dans les stalags et oflags du Reich, quelque 80 000 soldats et officiers belges s’apprêtent à passer leur troisième Noël en captivité. Sur les 215 000 militaires capturés initialement, beaucoup – essentiellement des Flamands – ont été libérés en 1941, d’autres ont signé un contrat de travail volontaire en Allemagne. D’autres encore se sont engagés dans la Légion Wallonie, la Légion Flandre ou d’autres formations au service du Reich. Début 1943, il restait entre 70 000 et 80 000 prisonniers de guerre belges, dont 4 000 officiers. La plupart des officiers d’active belges sont internés à l’Oflag II-A de Prenzlau (situé à 93 km au Nord de Berlin).

La captivité est source d’une grande détresse physique et morale. Sur le plan physique, les rations de nourriture sont loin d’être suffisantes vu la dureté des conditions de vie et de travail  des prisonniers des  stalags notamment: certains sont affectés à l’exploitation de carrières, d’autres aux travaux agricoles. Les premiers ont droit à un petit supplément alimentaire. Les seconds sont relativement mieux lotis car la nourriture ne manque pas dans les fermes et les zones agricoles sont moins visées que les villes par les bombardements.

Sur le plan moral, l’éloignement des leurs et les privations viennent encore alourdir le fardeau que représentent la promiscuité, la médiocrité et les trafics en tout genre. Cet éloignement prolongé provoque l’éclatement de nombreux couples belges. Le courrier est limité à sa plus simple expression :  2 lettres et 2 cartes par mois ! Les colis de la Croix-Rouge apportent un peu de réconfort mais ils ne peuvent en aucun cas contenir des allumettes, des lampes électriques, des vêtements civils, de l’alcool ou des produits pharmaceutiques. Nouilles, riz, confiture et lait condensé sont autorisés mais disparaissent souvent au moment des contrôles à l’entrée du camp.

La fin du commencement

Entre le 23 octobre et le 3 novembre 1942, la 8ème armée britannique sous le commandement de Bernard Montgomery remporte la Bataille d’El Alamein puis repousse l’Afrika Korps d’Erwin Rommel qui menaçait depuis plus de six mois Alexandrie et le canal de Suez. Elle remporte finalement la victoire à El Alamein. 

Le 4 novembre, la Grande Bretagne annonce la déroute des armées de Rommel en Afrique du Nord et la capture de 9000 prisonniers.

Le 8 novembre marque le début de l’Opération Torch : les Anglo-Américains débarquent en plusieurs points de la Méditerranée en Afrique du Nord (Alger, Oran, Safi). Le gouvernement de Vichy décide de résister à cette « agression » mais cela n’empêche pas Hitler d’ordonner en représailles l’occupation de la zone jusque-là restée libre de la France.

A Stalingrad, les Soviétiques lancent le 19 novembre une contre-offensive qui surprend totalement l’armée allemande, qui contrôle 90% de la ville. Les troupes roumaines sont écrasées. Quelques jours plus tard, les forces soviétiques du Front du Sud-Ouest font la jonction avec celles du Front de Stalingrad et encerclent la 6ème armée allemande et la majeure partie de la 4ème Panzerarmee.   

En Asie, les Australiens progressent en Nouvelle Guinée.

Churchill  tempère l’enthousiasme des populations occupées face aux avancées alliées en  rappelant que ces premières victoires ne représentent pas encore le commencement de la fin, mais seulement la fin du commencement.

Peenemunde - rampe de lancement
Peenemunde – rampe de lancement (2022 Coll. Jones)

Malgré l’amorce de ce ‘tournant’ dans la guerre, l’Allemagne poursuit son dessein meurtrier, et procède le 24 décembre 1942 au premier essai d’une bombe volante, à Peenemunde : le futur V1 (Vergeltungswaffe – arme de représailles). L’engin est propulsé à partir d’une rampe de lancement de 80 mètres de long et parcourt 1,5 km. Deux ans plus tard, l’arme sera au point et utilisée massivement, notamment contre Londres, Liège et Anvers.

L’Adoration de l'Agneau mystique
L’Adoration de l’Agneau mystique

L’Agneau Mystique                                             

Au début de la guerre, l’Agneau Mystique, exposé à la Cathédrale Saint-Bavon à Gand, avait été mis ‘en lieu sûr’  à Pau, en France, de commun accord entre les autorités gantoises et le gouvernement de Vichy. Quelque temps plus tard, une délégation allemande exige que l’œuvre des frères Van Eyck soit remise au Reich. Malgré le refus du conservateur du musée de Pau, les panneaux de l’Agneau Mystique sont bel et bien expédiés à Berlin, probablement par l’intermédiaire de Laval.  

Pas de crèche pour Noël 

La rumeur – humoristique – suivante circule. Cette année, pas de crèche pour Noël «parce que la Vierge et l’Enfant ont été évacués, Joseph a été mobilisé, les bergers ont été arrêtés, les rois sont en Angleterre, l’étoile est occultée, les anges ont été abattus par la DCA, l’étable est réquisitionnée, le bœuf est à Rome et l’âne est à Berlin ». Une manière un peu humoristique de se consoler…


Par Martine Jones – Publié dans le bulletin trimestriel Militaria Belgica Info N° 106 (Q4-2022) de la SRAMA – Société royale des Amis du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire – www.sramakvvl.be

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