En novembre 1914, le front de l’Yser est stabilisé à la suite des inondations des Polders. Il ne reste plus alors qu’un petit lambeau de terre belge ‘libre’, le Westhoek. Mais dans ce Westhoek, il n’y a aucun établissement hospitalier, hormis le Belgian Field Hospital, modeste ambulance anglaise installée alors à Furnes et incapable d’accueillir les quelque 20 000 blessés de la bataille de l’Yser.
Tous les blessés sont évacués par trains sanitaires sur la seule voie ferrée qui relie Furnes / Adinkerke (Belgique) à Calais et Dunkerque (France).
A Dunkerque, ils sont soignés dans des hôpitaux français d’abord, puis dans des établissements tenus par des médecins belges : Saint-Pol-sur-Mer, Fort-Louis et la malle Stad Antwerpen (transformée en navire-hôpital). Mais très vite, cela ne suffit plus. Il faudrait un hôpital plus proche du front.
Le premier sera installé au Grand Hôtel de l’Océan, à La Panne.
Ambulance de l’Océan – La Panne
Cet établissement hôtelier est rapidement transformé en hôpital, à 12 km du front, sur l’initiative de la Reine Elisabeth et du Roi Albert.
Le bâtiment existant et les quatre hectares environnants sont réquisitionnés. Une unité militaire en repos à La Panne est affectée aux travaux d’aménagement car le bâtiment ne dispose pas de chauffage central, ni d’ascenseurs et encore moins d’équipements médicaux.
Pour la transformation de cet hôtel en hôpital, sous l’égide de la Croix-Rouge, la Reine Elisabeth peut compter sur l’aide des Anglais, par l’intermédiaire du Major Gordon, attaché militaire britannique du roi George V auprès de la Cour de Belgique.
Dès le mois de décembre 1914, l’équipement lourd venant de Folkestone est installé : chauffage central, appareils de stérilisation, équipements pour les salles d’opérations et de radiologie, pavillons démontables en tôle ondulée et groupe électrogène.

La direction de l’Ambulance de l’Océan est confiée au Dr. Depage, médecin du Roi Albert, apprécié des souverains pour sa grande compétence, acquise notamment durant la guerre des Balkans. Le Dr. Depage, qui a refusé la direction du Service de Santé de l’armée que lui proposait le Roi Albert, n’a qu’un seul objectif :
« Laissez-moi faire un hôpital où je pratiquerai de la bonne chirurgie. Laissez-moi faire cela avec des ressources que je recueillerai au nom de la Croix-Rouge et sans me soumettre aux exigences tatillonnes et stérilisantes de la bureaucratie militaire. »
Le Roi marque son accord, mais pour qu’il ait une certaine autorité militaire, le Dr. Depage est incorporé début novembre 1914 au Service de Santé de l’armée belge et promu médecin principal de 2ème classe (ce qui équivaut au grade de lieutenant-colonel).
Le Dr. Depage constitue autour de lui une équipe d’une trentaine de médecins et chirurgiens qu’il connaît bien. Le personnel infirmier est composé dans un premier temps de nurses anglaises, puis américaines, canadiennes et danoises.

Les premiers blessés arrivent à l’Ambulance de l’Océan vers le 21 décembre 1914. Les 150 lits disponibles à cette date sont réservés aux traumatisés de la face, du crâne, de la poitrine et de l’abdomen.
Au début de l’année 1915, la capacité de l’hôpital n’est plus suffisante et on décide alors d’installer des pavillons démontables, fournis par l’Angleterre. Un véritable campus hospitalier est mis en place et la capacité augmente de plusieurs centaines de lits. Les villas avoisinantes sont réquisitionnées et réservées aux malades contagieux. A l’été 1915, la capacité d’hospitalisation dépasse les 1 000 lits.
Organisation
Trois grands principes sous-tendent l’organisation : la spécialisation des soins (concentration sur des pathologies bien définies), la responsabilité (chaque chef de service choisit librement la voie thérapeutique mais doit rendre compte des résultats) et la collégialité (rapports quotidiens des chefs de service et partage des pratiques médicales). Une approche qui augure déjà de la médecine moderne.
L’Ambulance de l’Océan est organisée en services spécialisés : stomatologie, plaies articulaires, plaies du cou, blessures de nerfs, ophtalmologie, fractures des membres, rééducation, service de consultations. Il comprend une pharmacie centrale, un grand laboratoire, un atelier de production et de réparation des instruments chirurgicaux, un atelier de construction des prothèses.
Un service de photographie est installé à des fins de documentation et d’enseignement. Il y a aussi un musée, une bibliothèque scientifique, une salle de conférence, des locaux de récréation et une bibliothèque pour les convalescents ainsi que des lieux de culte, et une salle des fêtes (la salle Emile Verhaeren).
Sur le plan de la logistique, le ravitaillement en vivres est assuré notamment par deux fermes proches (appartenant à la Croix-Rouge) et par les Halles de Paris qui acheminent les produits par train, via Adinkerke.
L’Ambulance de l’Océan possède un parc de voitures-lits pour le transport des blessés et un service de pompiers.
Enfin, la Villa La Cloche est réservée aux loisirs des infirmières qui y organisent notamment des séances littéraires et musicales.
Hôpital militaire chirurgical de Cabour
L’hôpital militaire chirurgical de Cabour est érigé en trois semaines, entre le 2 et le 26 avril 1915, sur ordre de Léopold Mélis, Inspecteur général du Service de Santé de l’armée belge. Il bénéficie du soutien financier notamment de l’Antwerp British Hospital Fund, dont Evan Thomas et Lord Northiffe sont les principaux délégués, et du comte Félix de Mérode qui fournit des voitures automobiles et du matériel hospitalier. Sa direction est confiée au Dr. Paul Derache, qui a dirigé précédemment l’hôpital militaire belge à Fort Louis, près de Dunkerque, et que le Dr. Depage recommande.
Cet hôpital a un atout : il est près des voies ferrées d’Adinkerke et du canal, il offre de meilleures possibilités d’évacuation vers la France.

Structure
L’hôpital chirurgical de Cabour est construit sur le domaine (privé) de Charles Amé Cabour, de Dunkerque. Le pavillon de chasse proprement dit est aménagé pour accueillir la salle d’opération.
Autour de lui sont construits vingt-deux pavillons en bois, démontables.
Ces pavillons sont conçus par le Dr. Mélis et le colonel du génie Wallens. Le Ministre de la guerre, Charles de Broqueville, en a autorisé la commande de 500 exemplaires et confié la construction à la firme Hamon de Paris. Pour Mélis, ce sont “ses” pavillons “SSA” (Service de Santé de l’Armée), que l’on utilisera partout.
Chaque pavillon, bien éclairé, repose sur un sous-bassement en béton ou en briques et mesure 28 mètres de long, 6 mètres de large et 2,50 mètres de hauteur sur les côtés, et 4,40 mètres dans l’axe grâce à un belvédère permettant l’aération. Il peut accueillir vingt-quatre lits. Une chambre séparée pour les patients isolés, une lingerie et une salle de bain sont également aménagées dans chacun des dix-neuf pavillons réservés aux blessés. La capacité totale est de 500 lits.
Il y a trois pavillons pour le logement du personnel, des officiers, des infirmières et des infirmiers.
Personnel
Le Dr. Derache s’entoure de douze médecins chirurgiens, trois pharmaciens, environ soixante soignantes et une poignée de soldats « inaptes au service en campagne ».
Les infirmières sont en grande majorité diplômées de l’Ecole Edith Cavell ou de l’Ecole Sainte-Camille.

Blessés
Entre sa mise en service en avril 1915 et sa reconversion en hôpital médical en mars 1917 (date à
laquelle le tout nouvel hôpital chirurgical de Beveren-sur-Yser prend le relais, l’hôpital chirurgical de Cabour accueille 3 324 patients, dont 2 811 atteints de lésions par blessures de guerre. Sur cette période, 227 décès sont enregistrés (6,8%).
En moyenne, il y a cinq opérations par jour à Cabour. Les médecins font d’excellentes observations scientifiques qui, à partir de janvier 1917, sont publiées chaque mois, sous l’égide du Dr. Mélis, dans les « Archives médicales belges ».
Même si l’hôpital chirurgical de Cabour est le plus proche du front (moins de 15 km), de nombreux blessés graves décèdent avant même d’arriver en salle d’opération. Le Dr. Derache installe alors par après, à titre expérimental, le poste chirurgical avancé de son hôpital à Grognie, à moins d’un kilomètre des lignes. Ce poste fonctionne du 20 juillet 1916 au 6 juillet 1917 et 64 grands blessés y sont soignés (dont 28 décèdent).
Cabour – Pavillon Principal (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Construction des pavillons en bois (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Salle d’opération (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Pavillon des blessés (Coll. Focquet-Jones) Cabour – La Chapelle (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Mess des infirmières (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Mess des officiers (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Cuisine (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Buanderie (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Pharmacie (Coll. Focquet-Jones) Cabour – Visite de la Reine Elisabeth et du Prince Léopold (Coll. Focquet-Jones)
Hôpital militaire chirurgical de Beveren-sur-Yser
A la suite de l’extension vers le sud du front belge (qui passe de 23 à 36 km), la décision est prise de construire l’H.M. chirurgical de Beveren-sur-Yser. Il remplacera celui de Cabour, qui (re)deviendra alors un hôpital militaire médical (destiné aux malades et non plus aux blessés).
Dès décembre 1916, la Reine Elisabeth s’implique activement dans les démarches nécessaires pour accélérer les achats de matériel en Angleterre, avec toutes les autorisations de transport requises. Le nouvel hôpital entre en service le 12 mars 1917.
Situé entre Furnes et Dixmude, près des rives de l’Yser et en dehors de toute agglomération, l’hôpital est situé à 9 km du front. Les blessés, transportés par des voitures de tous genres, y arrivent dans un délai de deux à quatre heures.

Structure
Le plan de l’hôpital de Beveren-sur-Yser est conçu entièrement par le Dr. Derache. Il se compose de baraquements en bois à double cloison et double toiture.
Les pavillons des blessés ont la particularité d’être tous reliés entre eux par des couloirs latéraux, ce qui offre l’avantage de pouvoir transporter un blessé à l’abri du froid ou de la pluie, de n’importe quel point de l’hôpital à n’importe quel autre.
Dix-huit pavillons abritent les blessés ; le service de chaque pavillon est assuré par deux infirmières et deux brancardiers sous la direction d’un médecin. Un dix-neuvième pavillon sert de salle de pansement, un vingtième de chapelle. Ces vingt pavillons sont placés sur deux rangées de dix. Les deux rangées de dix communiquent entre elles par un long couloir sur lequel donnent la salle des entrants, la salle de radiographie, la salle de narcose, la salle de stérilisation et les deux salles d’opération, dans chacune desquelles trois équipes de chirurgiens peuvent opérer en même temps.
Un pavillon donnant sur le couloir transversal comprend quatre laboratoires : physiologie, histologie, bactériologie et chimie. Un autre abrite des spécialités telles qu’oto-rhino-laryngologie, ophtalmologie, stomatologie, physiothérapie.
Deux pavillons affectés à la pharmacie accueillent les médicaments, mais aussi la préparation de la tisane et la stérilisation de l’eau.
D’autres pavillons servent de logement au personnel, aux infirmières, aux officiers, aux brancardiers.
Il existe en outre une buanderie mécanique, un séchoir à vapeur, une lingerie, une salle de bain avec 13 cabines et des bains douches, un service de dépense, un service d’administration… sans oublier la cuisine et une ferme comprenant douze vaches laitières, douze porcs (engraissés avec les restes des cuisines), les chevaux des officiers, et un cheval de trait pour la charrette à immondices.
Un garage pour les véhicules automobiles (ambulances, camions) est également aménagé, avec une équipe de mécaniciens et de chauffeurs. Ainsi qu’une salle de fêtes de 32 x 12 mètres où se donnent conférences, représentations théâtrales et cinématographiques. En cas de besoin, 200 lits supplémentaires peuvent être installés dans cette salle.
A Beveren-sur-Yser, le Dr. Derache est assisté de douze médecins chirurgiens, d’un médecin radiographe et de douze élèves médecins. Il y a en outre soixante infirmières, des brancardiers et du personnel technique. Au total, les équipes dirigées par le Dr. Derache ont soigné 11.494 militaires.
Beveren-sur-Yser – Salle d’opération (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Salle de stérilisation (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Salle des pansements (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Salle de radiographie (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Pharmacie (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Mess des officiers (Coll Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Salle de repos des infirmières (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Salle des fêtes (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Chapelle (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Garage (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Groupe électrogène (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Cuisine (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Le Dr. Derache et son équipe de médecins et chirurgiens (Coll. Focquet-Jones) Beveren-sur-Yser – Les infirmières (Coll. Focquet-Jones)
Hôpital militaire chirurgical de Hoogstaede
Fondé par un comité anglais, le Belgian Field Hospital a d’abord fonctionné à Anvers (à partir du 4 septembre 1914), puis à Furnes et à Poperinge (octobre 1914) avant d’être autorisé par le Grand Quartier Général belge à s’établir en décembre 1914 à l’Hospice de Klep, Hoogstaede, à la limite sud du secteur belge.
Au départ, le personnel médical et infirmier est anglais, avec de fréquentes rotations. Mais au fil du temps, les effectifs sont rappelés au sein de l’armée britannique et remplacés par du personnel médical militaire belge.
Cet hôpital militaire d’une capacité relativement limitée accueille surtout des blessés intransportables, des cas extrêmes ; 1 350 blessés graves y sont opérés entre octobre 1914 et mai 1915. On y enregistre 1 décès sur 5 opérés.
L’hôpital de Hoogstaede est particulièrement sollicité en avril 1915, lors de l’offensive allemande sur Steenstraete. Il accueille alors principalement des blessés français.
Au printemps 1915, plusieurs baraques sont construites afin d’offrir une capacité de 200 lits supplémentaires pour la chirurgie de grande urgence. L’hôpital possède son propre matériel de transport : quatre autos-voyageurs, deux voitures d’ambulance, deux autos-camions notamment.
En mai 1916, Hoogstaede devient un hôpital militaire belge dirigé par le Professeur Charles Willems – chirurgien en chef de la Bijloke à Gand (engagé volontaire dans les Balkans, et professeur agrégé de l’Université de Gand). Tout le personnel est belge sauf quelques infirmières de l’ancien régime.
Par Martine Jones – Extrait de l’article “Si j’avais été blessé dans le Westhoek en 14.-18…” publié dans la revue annuelle Militaria Belgica 2020 de la SRAMA – Société royale des Amis du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire – www.sramakvvl.be