Depuis la stabilisation du front fin novembre 1914, la stratégie de guerre est marquée par des offensives constantes, entrecoupées de périodes de relative accalmie. Sur le terrain, cela se traduit par des flots quasi permanents de blessés qu’il est impossible de prendre tous en charge immédiatement. Leur évacuation massive vers l’arrière semble être la seule solution, mais les vagues de blessés se succèdent jour après jour. Et dans un premier temps, aucun diagnostic individuel n’est posé pour évaluer la gravité des cas.
Le triage.
Confronté à une situation inédite, le Service de Santé tente d’organiser un triage plus systématique, et notamment un triage «chirurgical». Le mot «triage» peut paraître sordide au vu des circonstances, mais la réalité ne laisse pas le choix. Au départ du poste de secours, le triage permet de catégoriser les pathologies et d’orienter les blessés, en fonction de la gravité de leurs blessures ou de leur état de faiblesse, vers une destination précise : poste chirurgical avancé, hôpital de l’avant (proche du front), hôpital de l’arrière. Sans parler des cas désespérés qui eux, ne sont pas évacués et que l’on tente de soulager le mieux possible avant leur dernier souffle.
Le triage devient indispensable non seulement en raison du nombre de soldats blessés sur le front, mais aussi du type de blessures dont ils sont victimes. En effet, le nombre de «polyblessés» augmente sans cesse ; le polyblessé est celui qui souffre de lésions multiples. Même si celles-ci ne concernent que des parties molles et demeurent superficielles, elles engendrent un pronostic plus grave que celui d’un segment de membre broyé par exemple. Les plaies sont souillées de terre et de lambeaux de vêtements et les chairs sont souvent largement déchiquetées.
Le triage est confié à des médecins dont le diagnostic doit être rapide et sûr car l’état du blessé peut s’aggraver rapidement. En cinq à douze heures à peine, une simple blessure peut compromettre la survie du soldat. C’est ce que l’on appelle la période critique, durant laquelle le blessé risque une complication septique (cette période peut aller jusqu’à 5 jours après la blessure).
Avec le triage chirurgical, la chirurgie en première ligne ne peut plus se contenter d’actes préparatoires. Elle doit pratiquer l’intervention requise, généralement dans les postes chirurgicaux avancés qui sont progressivement mis en place. La rapidité d’intervention est cruciale notamment pour les blessures à l’abdomen, qui détruisent les barrières anatomiques protectrices comme le péritoine entourant les viscères.

L’évacuation.
Une fois triés, les blessés sont évacués par ambulance hippomobile ou par train vers la structure médicale appropriée.
Dans les gares, les médecins responsables organisent les trains sanitaires et les convois-express sanitaires tandis que s’effectue un important travail de régulation du transport ferroviaire.
Les soldats blessés qui le peuvent arrivent du champ de bataille, seuls ou aidés par des camarades, aux postes de secours, souvent rapidement débordés.
Parallèlement à cette réorganisation massive, le Service de Santé est également confronté à une pénurie de personnel médical: médecins, chirurgiens, infirmières, sans oublier tous les auxiliaires indispensables dans la chaîne sanitaire, tels les brancardiers, les pharmacologues, le personnel soignant…
Par Martine Jones – Extrait de l’article “Si j’avais été blessé dans le Westhoek en 14.-18…” publié dans la revue annuelle Militaria Belgica 2020 de la SRAMA – Société royale des Amis du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire – www.sramakvvl.be